Rotincia
Rotincia - L'histoire de Rollot Rotincia - L'histoire de Rollot Rotincia - L'histoire de Rollot
Rotincia

Rotincia - Accueil Accueil Rotincia > Ressources > Le Canton de Montdidier

Description
du Canton de
Montdidier
par M. l'abbé Godart

Notes historiques et archéologiques sur les communes du canton > Montdidier

Le chef-lieu du canton, Montdidier, Montis Desiderii Castrum, Modisderium, dans d'anciennes chartes, est situé au Sud-Ouest d'Amiens ; il est distant ce cette ville de 36 kilomètres et se trouve à égale distance N.-O. de Compiègne. Il est situé au 0° 13' de longitude Est, et au 49° 48' de latitude N.

La ville est bâtie sur une hauteur à pentes très escarpées du côté du Sud, de l'Ouest et du Nord-Ouest, se reliant par un terrain légèrement ondulé au plateau du Santerre du côté de l'Est et du Nord-Est.

Sa situation est des plus pittoresques. Aperçue du Sud-Ouest, la ville présente la forme d'un croissant dont la concavité regarde l'observateur ; les maisons s'élèvent en amphithéâtre. Vue de la route d'Amiens, elle apparaît semblable à une aire, perchée sur un rocher à pic.

La ville se divise en deux parties : la haute ville et la basse ville ou faubourgs ; ceux ci sont au nombre de trois : le faubourg de Paris, le faubourg de St Martin et celui de St Médard.

 

Nous empruntons à un Montdidérien la description topographique de la ville proprement dite. Nous y apportons quelques légères modifications et nous y introduisons quelques détails sur les monuments que nous rencontrerons :

« Supposons, dit-il, un voyageur arrivant de Paris par le route de Clermont et se rendant à Amiens. Il traverse la ville dans son plus grand diamètre, en commençant par le faubourg de Paris qui est séparé de la haute ville par la route de Rouen à La Capelle. Il longera le square établi sur l'emplacement des anciens remparts et montera en ville par une pente très raide.

Il verra d'abord à sa droite l'église St Sépulcre [Dès le commencement du XIIe siècle, il existait à Montdidier une église du St Sépulcre ; il en est fait mention dans une charte de Thierry, évêque d'Amiens, en 1146. Elle se trouvait au bas de la ville à l'intersection de la route de Rouen à La Capelle et de Tricot à Rosières. Placée en dehors des fortifications, elle fut dévastée et enfin détruite pendant la guerre des Français et des Bourguignons. La deuxième église fut bâtie en 1419 dans l'intérieur de la ville à l'endroit où est maintenant le rue de la Vieille Eglise. Elle ne subsista qu'un siècle environ : les incendies et les sièges qui désolèrent Montdidier pendant le XVe siècle avaient fort endommagé cet édifice, trop étroit d'ailleurs pour la population de la paroisse. Aussi s'occupa-t-on d'en rebâtir une nouvelle mais sur un autre emplacement que donna l'Echevinage : c'est celle que nous voyons aujourd'hui.], construction du commencement du XVIe siècle, ornée d'un riche portail nouvellement reconstruit et flanqué d'une haute tour carrée ; qu'il pénètre dans l'église : il sera favorablement impressionné par la délicatesse des piliers et la légèreté des voûtes. Le chœur, très léger, est percé de cinq fenêtres, trop étroites par rapport à leur élévation ; elles sont garnies de verrières peu artistiques. Signalons, en passant, la chaire, très élégante, style Renaissance, les fonts baptismaux ornés de gracieux pendentifs aux quatre coins et de guirlandes sur les côtés, une pierre en forme de tableau représentant la Ste Vierge avec ses principaux symboles, la tour, le cèdre, le puits, le jardin fermé, etc (ce morceau provient, dit-on de la première église) enfin, au dessus de l'arcade qui domine l'entrée de la chapelle du Sépulcre, un Ecce Homo, justement admiré.

 

Sorti de l'église, le voyageur arrivera bientôt sur la place dite Place d'Armes, à laquelle aboutissait perpendiculairement à droite et à gauche quatre rues ; les plus importantes sont celle de Roye à droite, et en face, celle de Jean du Puy (anciennement rue des Juifs), dans laquelle se trouve une maison appelée fort prétentieusement Hôtel de la Sous Préfecture. Note : Jean du Puy est le nom d'un ancien maire de la ville. Il la sauva de la fureur des Cosaques en 1814. Voir les Cosaques à Montdidier par Ch. Dumas.

Sur la place, rien n'attire l'attention du voyageur, si ce n'est l'Hôtel de Ville dont la partie principale est un petit pavillon du XVIIe siècle en saillie sur les maisons qui l'avoisinent. C'est un monument d'assez mauvais goût et en somme peu remarquable. Il porte, au dessus d'une fenêtre sur le côté Sud, les traces du bombardement que la ville eut à subir de la part des Saxons le 17 octobre 1870. Sur le devant du Campanile qui le couronne est un jacquemart en bois dans le costume de garde française qui frappe les heures et qu'on nomme Jean Duquesne (voir : Jean Duquesne par V. Besse - Montdidier - 1881). C'est le héros de mille contes populaires ; il a même inspiré un poète montdidérien. Et Mr Galoppe d'Onquaire dans quelques couplets assez bien tournés salue le vieux Roi de Bois ; en voici un échantillon :

Son œil a vu flotter plus d'un drapeau

Sur le donjon qu'on connaît à sa garde ;

Plus d'une fois sur son petit chapeau

La main du peintre a changé la cocarde ;

Mais en dépit des Révolutions

Qu'il vit passer sans plaisir et sans peine

Il a toujours rendu les mêmes sons.

Ah ! que de gens

Sont moins conséquents

Que notre Jean Duquesne !.

 

Qu'on nous pardonne cette courte digression ; nous revenons à la description topographique de la ville.

La place est de forme ovale : elle se prolonge au Nord par une rue en entonnoir jusqu'à une place sur laquelle se trouve la statue de Parmentier. Cette statue a été érigée par souscriptions en 1848 (juin). Parmentier est représenté debout, en costume de membre de l'Institut. La pose est naturelle. Quatre bas-reliefs reproduisent des épisodes de la vie de ce modeste savant, décorent d'une façon assez heureuse le piédestal.

A cette rue dite de la Croix Bleue, viennent aboutir les rues d'Amiens, de la Porte Becquerel, de St Pierre et des Six Coins.

Laissons un instant ces dernières et revenons sur nos pas pour prendre la rue de Roye. Elle part de la Place d'Armes, se dirigeant de l'Est à l'Ouest, et aboutit à une place assez vaste, en pente, dite marché aux Vaches. A cet endroit commence la rue improprement appelée Faubourg de Roye dans laquelle se trouve l'Hôtel-Dieu, réuni à l'Hôpital Général [Mademoiselle Rallu en fut la véritable fondatrice en 1770. Voir la biographie de Mademoiselle Rallu par H. Josse. Amiens, 1884.], bel et vaste établissement destiné aux vieillards et aux orphelins des deux sexes, ainsi qu'aux malades.

 

En remontant vers le Nord, on arrive à une belle promenade plantée de platanes et de tilleuls, nommée le Chemin Vert. Non loin de là se trouve le cimetière que les gens du peuple appelle l'Egalité : ce nom vient non de ce que tous sont égaux dans la mort, mais parce que c'est en cet endroit qu'à la Révolution, Gracchus Babeuf, reçu par la municipalité en qualité de Commissaire du Gouvernement, fit un discours sur légalité des citoyens et exposa ses idées au sujet du partage des propriétés et d'une loi agraire.

En quittant ce lieu et en se dirigeant de l'Est à l'Ouest, on arrive à la route d'Amiens. Si on la remonte, on traverse le faubourg d'Amiens et l'on arrive à une vaste place qui porte le nom de Marché aux Chevaux ; elle est bordée d'un côté par le magnifique établissement des Frères des Ecoles Chrétiennes. Dans un angle de la place se trouve une massive construction, d'aspect peu gracieux, surmontée d'une tour : c'est le réservoir d'eau qui distribue l'eau à toute la ville depuis quelques années.

A cette place vient aboutir la rue d'Amiens dans laquelle se voient quelques restes des bâtiments de l'Ancien Hotel Dieu. Cette rue se prolonge jusqu'à la place Parmentier où débouchent également, comme nous l'avons déjà dit, les rues de la porte Becquerel et de St Pierre.

La rue de la porte Becquerel, porte de forme ogivale disparue vers 1840, a une pente des plus rapides : elle conduit au faubourg de St Martin et de St Médard, en contrebas de la ville de 50 à 60 mètres. Ces faubourgs sont habités en grande partie par les jardiniers : c'est le nom qu'on donne à Montdidier à la partie de la population qui s'occupe de culture maraîchère.

 

La rue St Pierre se dirige du S.-E. au Nord-Ouest. En la suivant, on laisse à droite l'église principale qui est sous le vocable de St Pierre. C'est une construction qui date de la Renaissance. Le portail mérite de fixer les regards : il est surmonté d'un archivolte aigu et décoré de feuillages et d'entrelacs. La voussure du porche est fort délicatement travaillée. Malheureusement à cause de l'exposition aux vents d'ouest et du peu de dureté de la pierre, les sculptures sont rongées en maints endroits. On a entrepris dans ces derniers temps des travaux de réparation devenus indispensables.

A l'intérieur de l'église se trouve un monument classé parmi les monuments historiques : c'est la pierre tombale de Raoul de Crépy, Comte de Montdidier (XIe siècle). Nous signalons encore à l'attention des visiteurs dans la même église, une magnifique verrière du XVIe siècle : elle est dans la première chapelle à gauche en entrant, et représente la Transfiguration de N.S. ; au bas, dans les angles, sont figurés les donateurs : Jean Cailleu, maïeur en 1513 et en face Pierre de Vignacourt, Capitaine de Montdidier de 1492 à 1533.

La rue aboutit au vieux palais du bailliage, aujourd'hui Palais de Justice : la salle d'audience est la plus belle du département ; on y remarque une splendide pendule, genre boule, incrustée de cuivre et d'écaille, très estimée des amateurs. Des tapisseries de Bruxelles [Ces tapisseries ont été faites au XVIIIe siècle par H. Reydams pour la ville de Douai ; elles représentent différentes scènes de l'histoire du peuple hébreu.], de grande dimension (12 m 06 de long et 10 m 45 de large), ornent l'immense salle des Pas-Perdus et le large corridor qui la met en communication avec la salle d'audience.

Une voûte [C'est assurément la partie la plus ancienne du Palais de justice et peut être le seul vestige du vieux château des Comtes de Montdidier.] à plein cintre, de style roman, de 13 m de long, établit une communication directe entre la ville et la promenade du Prieuré. Cette promenade plantée de tilleuls séculaires est à 60 m environ au dessus du niveau de la rivière, qui coule au bas du rocher à pic en cet endroit.

Au Nord, à l'Ouest, au Sud, l'horizon s'étend libre de tout obstacle. De cette esplanade on jouit d'un coup d'oeil tel qu'on rencontre rarement dans nos pays.

 

Au N-E, la promenade est limitée par les bâtiments du Collège ou École St Vincent. Cet établissement est tenu depuis 1818 par les Prêtres de la Congrégation de la Mission, plus généralement connus sous le nom de Lazaristes ; ceux ci sont aidés par des prêtres du diocèse. Son cabinet de physique, véritable musée, contient des collections variées qui s'enrichissent tous les jours par les envois des missionnaires.

Le bâtiment qui fait face à la porte d'entrée se termine par un pavillon faisant avant-corps. Ce pavillon est dominé par un fronton triangulaire qui produit assez bon effet. C'est tout ce qui reste de l'ancien Prieuré des Bénédictins. Quant à l'église N.D., qui était la plus ancienne de la ville (sa construction remontait au XIIe siècle), elle a été démolie en 1788, à la suite d'un désastreux ouragan qui l'avait fort maltraitée. Sur son emplacement, on a bâti en 1825 la chapelle actuelle du Collège : elle est d'un style très simple. L'intérieur est élégamment décoré.

 

D'autres rues sans importance viennent se greffer sur les artères principales. Quelques une rappellent par leur nom des souvenirs particuliers : ainsi la rue de la Commanderie, la rue du Puits de l'eau bénite, du Val à Carré, etc. Nous n'avons pas à nous y arrêter.

Quant aux faubourgs, ils s'étendent, celui de Paris au Sud, ceux de St Médard et de St Martin au Sud Ouest et à l'Ouest. Une rue, dite de la Tannerie, qui part de l'entrée du faubourg St Médard et suit la base du rocher, vient déboucher sur le route de Rouen à La Capelle, dont nous avons parlé déjà, presqu'en face de l'avenue qui mène à la gare, placée au Sud de la ville, à l'entrée des Catiches : c'est le nom donné aux prairies cultivées entre Montdidier... ? Deux autres arrêts ont été établis pour la grande commodité des voyageurs : l'un à l'Est sur la ligne de Picardie et Flandres, à l'ancienne gare, au fond de la Hulotte ; l'autre au Nord sur la ligne de Montdidier à Albert, au fond d'Amiens. »

*

Quelle est l'origine de Montdidier ? Etait-ce d'abord un oppidum gaulois et faut-il y reconnaître, comme l'ont prétendu certains, le Bratuspantium dont parle César ? L'historien de Montdidier, après avoir discuté toutes les opinions émises à ce sujet, ne pense que Montdidier soit le Bratuspantium des Commentaires. Nous ne pouvons que nous ranger à son avis.

Il ne paraît plus admissible que Montdidier ait été d'abord un palatium des rois francs. Quoiqu'il en soit, la ville est d'une origine fort ancienne. On admet généralement que Didier, roi des Lombards et prisonnier de Charlemagne, y résida quelque temps et qu'en souvenir de son séjour la ville prit le nom de Mons Desiderii. Elle existait donc dès le VIIIe siècle? Elle dut se former peu à peu autour d'une métairie que possédait en cet endroit l'abbaye de Corbie.

 

Un des plus anciens événements dont Montdidier aurait été le théâtre, date du Xe siècle. S'il faut en croire Enguerrand, abbé de St Riquier mort en 1045, il y aurait eu une guerre entre les habitants de Roye et les Montdidériens. Si la chose est vraie, la rivalité qui existe entre les deux villes daterait de loin.

On ne sait rien de précis sur l'origine du Comté de Montdidier, ni sur les premiers comtes de cette ville. L'histoire n'est plus aussi obscur à partir du XIe siècle. Il est en effet hors de doute que Raoul de Crépy s'empara sur le comte Hilduin IV de la ville de Montdidier vers 1035, qu'il y a établi sa résidence et qu'il mourut en 1074. Sa pierre tombale qui se trouvait dans l'église du Prieuré a été recueillie, après diverses vicissitudes dans l'église St Pierre où elle est encore maintenant. Elle a été classée parmi les monuments historiques et protégée par une grille contre de nouvelles dégradations.

Simon, fils de Raoul, étant entré en religion et ne laissant pas d'enfants, abandonna tous ses biens à sa sœur Adèle. Par le mariage de celle-ci avec Herbert IV, comte du Vermandois, le comté de Montdidier passa dans la famille de Vermandois.

Adèle, fille de la précédente, épousa Hugues de France, frère du roi Philippe I en 1077 : elle eut de ce mariage sept enfants dont Raoul I, l'aîné, lui succéda dans la possession de Montdidier. Celui-ci laissa trois enfants, un fils et deux filles, qui héritèrent successivement du comté. Raoul II étant mort sans enfants, Elizabeth de Vermandois, sa sœur, qui avait épousé le comte de Flandres, recueillit son héritage ; mais elle mourut elle-même sans postérité. Après son décès, Aliénor, sa sœur, revendique ses biens féodaux et, grâce à l'appui de Philippe Auguste, recouvra sur le comté de Flandre en 1185, la majeure partie des domaines qu'elle réclamait. En 1191, Aliénor, qui était mariée au comte de Beaumont, étant sans enfants et sans espérance d'en avoir, abandonna au roi Philippe Auguste moyennant 13.000 livres les villes de Péronne, Roye et Montdidier. Cet accord fut confirmé en 1194 et c'est de cette année que date la réunion de Montdidier à la couronne.

 

Un an après, le roi Philippe Auguste accordait à Montdidier une Charte Communale (1195). Les habitants s'en montrèrent bientôt reconnaissants, et les plaines de Bouvines furent témoins de leur valeur. (1201) La chronique de St Denis cite entre autres chevaliers : Pierre Tristan, qui sauva le roi, et Pierre de la Tournelle, qui concourut à la prise de Renaud, comte Boulogne : c'étaient deux Montdidériens.

Puis vinrent des années calamiteuses. La Jacquerie exerça des ravages autour de Montdidier et les habitants mêmes de la ville prirent part à ces guerres déplorables. A la Jacquerie succédèrent les grandes bandes, ramassis d'aventuriers qui faisaient la guerre sans autre but que le vol et le pillage. Ensuite vint la guerre avec les Anglais. Montdidier fut assiégé (1370) par Robert Knolle [Le lieu où l'anglais Knolle plaça son camp se trouve à l'entrée du vieux chemin de Fontaine et s'appelle encore La Quenolle.], qui dut se retirer après avoir incendié les faubourgs.  Quarante ans plus tard, nouveau siège : c'est Jean sans Peur, duc de Bourgogne, qui attaque la ville sans succès en 1411.

Au milieu des commotions violentes produites par les guerres, toute justice avait disparu, le pays se trouvait dans un état lamentable. Aussi, croyant trouver un remède à leurs maux, les Montdidériens, écoutant les propositions du duc de Bourgogne, embrassèrent son parti (1417). L'année suivante, le faible Charles VI consentait à engager à Philippe le Bon, comte de Charolais, les villes de Péronne, Roye et Montdidier. Cette dernière ville se montra fidèle au duc de Bourgogne pendant un demi siècle. Il faut remarquer que c'est à cette époque (XVe siècle) que les trois villes susnommées commencèrent à former un gouvernement distinct de celui de Picardie. Il se maintint sans interruption jusqu'en 1789.

Par le traité d'Arras conclu en 1435, Montdidier, qui était déjà entre les mains du duc de Bourgogne en vertu de la cession temporaire à lui faite par le roi, lui fut cédée en toute propriété. Mais en 1463, les 40.000 écus stipulés pour le rachat des villes sur la Somme, Roye et Montdidier ayant été payés, Montdidier rentra sous la domination royale pour retomber dès 1465 au pouvoir du comte de Charolais par le traité de Conflans passé avec Louis XI.

Le décès de Philippe le Bon fit passer Montdidier entre les mains de Charles le Téméraire. Louis XI, qui n'avait signé le traité de Conflans et surtout la paix de Péronne que contraint et forcé, guettait l'occasion de reprendre ce qu'il avait donné à contre cœur. En 1470, profitant des embarras de son turbulent vassal, il lui déclarait la guerre : le comte de Dommartin, lieutenant du roi, reprit Montdidier malgré la résistance des habitants attachés au duc de Bourgogne. En 1472, la ville fut reprise par ce dernier. Mais en 1475, Louis XI, profitant de l'éloignement de Charles le Téméraire, reparut soudain aux environs de la ville, s'empara du fort du Tronquoy [Le Tronquoy est un hameau situé à huit kilomètres de Montdidier dépendant de la commune du Frétoy (Oise). Les fossés du château sont encore très apparents.] et le rasa. Montdidier, sommée au nom du roi par Philippe de Commines et dépourvue de garnison, dut se rendre. Le roi, manquant à ses engagements - c'était son habitude - chassa les habitants dont beaucoup se réfugièrent à Péronne et fit mettre le feu à la ville qui fut "totalement bruslée, télement qu'il n'y est plus demeuré une seule maison, fors les églises".

Charles le Téméraire essaya de la relever et engagea les Montdidériens qui étaient réfugié à Péronne à retourner dans leur patrie. Sa mort arrivée devant Nancy (1476) ne lui permit pas de réaliser toutes ses intentions à l'égard d'une ville qui s'était montrée si fidèle et avait tant souffert pour sa cause. Prise et reprise quatre fois, incendiée deux fois, on aurait pu passer la charrue sur le sol qu'elle occupait.

Ce fut le destructeur de la ville qui la releva. Louis XI, dans ses lettres patentes données à Tours en 1478, parle ainsi : "Ordonnons nostre dite ville de Montdidier, laquelle naguères pour certaines causes. avions fait abatre, destruire et demolir en fortifications et édifices, estre rédifiée, réparée et fortifiée de fossés, murailles, tours et autres forteresses.". Les travaux de reconstruction avancèrent rapidement : en 1492, on avait rebâti déjà cent soixante et onze maisons ; les charges qu'il avait fallu s'imposer étaient lourdes et plus d'une fois les montdidériens furent près de se laisser aller au découragement.

A la longue la ville sortit de ses embarras ; les murs auxquels on travaillait sans relâche depuis le règne de Louis XI étaient à peu près terminés en 1522. De nouveaux malheurs allaient fondre sur la ville : elle fut prise en effet après douze jours de siège (1523) et livrée au pillage par les Anglais sous les ordres du duc de Norfolk, et une fois encore incendiée.

 

Les ruines furent bientôt réparées et François Ier venant à Montdidier en 1524 ordonna de nouvelles fortifications. Pendant la première moitié du XVIe siècle, on voit les Montdidériens presque constamment occupés à se mettre en garde ou à se défendre contre les attaques du dehors.

Aux luttes sanglantes allaient succéder d'autres perturbations. La ville de Montdidier, voisine de celle de Noyon où naquit Calvin, fut une des premières où les idées de réforme comptèrent des partisans, mais elles rencontrèrent un redoutable adversaire. Antoine de Bertin, lieutenant général du bailliage, montra une sévérité rigoureuse dans la répression. Un certain Michel de la Grange fut brûlé vif sur la place pour avoir vendu et distribué des écrits de Calvin, de Bèze, etc. Cet autodafé ne calma pas les ardeurs hérétiques. L'énergie d'Antoine de Bertin ne faiblit pas au milieu des difficultés qui pendant plusieurs années s'élevèrent entre catholiques et protestants. Grâces à Dieu, le massacre de la St Barthélemy ne trouva pas de complice à Montdidier.

En 1576, l'édit de pacification semblait mettre fin à tous les troubles : entre autres villes cédées aux Huguenots comme place de sûreté se trouvait Péronne. Cette concession donna naissance à la Ligue : elle fut signée à Péronne le 13 février. Dès le 15, les habitants de Montdidier, à l'instigation de Jacques de Humières, gouverneur de Péronne, y donnèrent leur adhésion et jurèrent de la maintenir. Ce serment fut cause de longs troubles. Car Montdidier fut une des villes où l'Union subsista le plus longtemps et l'une des dernières à reconnaître Henri IV. Pendant ces années de discorde, la situation de Montdidier fut très critiquée. Les forteresses des environs tenues par des ennemis de la Ligue gênaient beaucoup les Montdidériens et les forçaient à se tenir continuellement sur le qui vive. Enfin, l'abjuration de Henri IV vint lever toutes les difficultés et, après l'inutile opposition de quelques ligueurs obstinés, le 6 juillet 1594, dans une assemblée générale tenue à la Salle du Roi (aujourd'hui Palais de Justice), Henri IV fut reconnu comme souverain légitime, au cri de Vive le Roi, qui depuis longtemps n'avait pas retenti dans la ville.

Le calme se rétablit : aux maux de la guerre succédèrent les bienfaits de la paix et Montdidier jouit enfin d'un repos qui lui était inconnu depuis cinquante ans.

 

Cette tranquillité ne fut pas de longue durée. Elle fut de nouveau troublée par la guerre entre la France et l'Espagne. En 1636, l'armée espagnole, commandée par Picolomini et Jean de Werth, envahit la Picardie, brûla Bray, s'empara de Roye qui se rendit sans coupférir, et vint mettre le siège devant Montdidier. La place investie tint bon et après un mois d'une résistance vigoureuse à laquelle tous prirent part, même les jeunes, Jean de Werth fut obligé de battre en retraite ; il avait éprouvé des pertes sérieuses. C'est à cette occasion que les habitants reçurent le surnom de braves. Louis XIII, pour récompenser leur valeur accorda à la ville l'établissement de deux foires franches et aussi de deux marchés francs par semaine. C'était une simple confirmation de faveurs accordées depuis longtemps, mais contestées par la Cour des Aydes.

Cependant la guerre continuait. Le prince de Condé, qui avait embrassé le parti de l'étranger, était à son tour entré en Picardie avec des troupes espagnoles : il s'empara de Roye, vint camper à Guerbigny à deux lieues de Montdidier, et fit sommer la ville de se rendre. Après une première attaque où les assaillants furent repoussés, la ville, dans l'impossibilité de se défendre plus longtemps, demanda à entrer en composition. Moyennant la livraison d'une certaine quantité de vivres fournis à l'ennemi et le paiement d'une indemnité de guerre, cela évita à la ville les horreurs d'une prise d'assaut et du pillage. Les Espagnols se retirèrent causant dans leur retraite des maux effroyables.

Nous ne trouvons rien d'intéressant à noter pendant la majeure partie du XVIIIe siècle. Deux hivers très durs, ceux de 1709 et de 1740 amenèrent une chéreté extrême des vivres ; ce qui occasionna quelques troubles facilement réprimés. L'hiver de 1788 vint ajouter à toutes les misères, et le prix du blé haussa rapidement. Les émotions causées par les événements politiques ne pouvaient opérer qu'une diversion momentanée à des souffrances trop réelles.

 

Des événements d'une importance sans égale se produisaient. Un nouvel ordre de choses surgissait. Le bailliage dont la ville était le chef lieu depuis tant d'années et les autres juridictions étaient abolies. En place on établissait un directoire et un tribunal de district. Roye aurait voulu profiter des circonstances pour écraser sa rivale. Après bien des contestations, le chef lieu du district fut fixé à Montdidier (janvier 1790). Au mois d'août de la même année, l'Assemblée Nationale décréta que le tribunal serait également établi à Montdidier.

Ceux qui seraient curieux de savoir ce qui se passa pendant la Révolution à Montdidier trouveront dans l'histoire de Mr de Beauvillé les détails les plus intéressants.

Il nous suffira de dire qu'un décret du 30 mai 1795 ayant autorisé la réouverture des églises, et l'opinion publique entraînant la décision du conseil municipal, on rendit au culte les églises de St Pierre et de St Sépulcre. Celle-ci desservie par des prêtres non assermentés fut la première où l'on célébra solennellement le culte divin.

 

Sous l'Empire, les fortifications devenues inutiles commencèrent à disparaître. Des améliorations reconnues indispensables firent peu à peu pénétrer dans la ville l'air et le mouvement. Montdidier est aujourd'hui une ville champêtre, fort agréable et d'un accès facile.

Que rappellerons-nous des événements qui se sont passés depuis le commencement de ce siècle ? Dirons-nous qu'en 1814 un détachement de Cosaques commandé par le baron de Geismar voulut, pour se venger de la perte de quelques hommes, incendier la ville et que celle-ci fut épargnée grâce aux courageuses instances de Jean du Puy, alors président de l'Assemble Cantonale ? Que les changements de gouvernement en 1815, en 1830 et en 1848 laissèrent la population à peu près indifférente, aussi bien que le rétablissement l'Empire. Ce n'était guère que des prétextes à fêtes et aussi pour les ambitions particulières d'excellentes occasions pour se donner plein-jeu.

 

Deux faits méritent pourtant dans les dernières années une mention spéciale. Lors de la funeste guerre contre la Prusse, le 17 octobre 1870, la ville sans sommation préalable, fut bombardée pendant vingt minutes par les Saxons. On eut à regretter, outre les pertes matérielles, la mort de trois victimes. Il y eut aussi cinq blessés, dont trois grièvement. La ville, soumise à toutes sortes d'exactions, dut subir pendant trois longs mois le contact et la souillure de ces barbares Teutons.

L'autre fait n'est pas du même ordre ; nous le citons parce qu'il touche à la vie intime de Montdidier et qu'il a causé une pénible impression aux plus indifférents. En 1891, le maire, rompant avec les traditions séculaires, traditions non interrompues même pendant la Révolution, ne parut pas, pour le 1e fois, à la procession annuelle des patrons de la Ville.

 

Disons un mot des établissements qui ont disparu. Le premier en date et en importance est le Prieuré de Notre-Dame. Il succéda à un chapitre de 13 chanoines fondé par les premiers comtes. A cause du relâchement qui s'y était introduit, on réunit le chapitre à l'ordre de St Benoît de Cluny. Les religieux s'établirent à Montdidier vers 1130. Leurs biens et leurs privilèges s'augmentèrent peu à peu. Dix neuf paroisses étaient dans la dépendance du Prieuré : nous en trouvons plusieurs parmi les paroisses actuelles du canton. Le prieur, regardé comme curé primitif, était collateur des différentes paroisses de la ville. Le Prieuré tomba en commendature à la fin du XVe siècle ; le premier abbé commandataire fut Adrien de Hénencourt qui a tant contribué de ses deniers à l'embellissement de la Cathédrale d'Amiens.

En 1739, on joignit au Prieuré de N.D. le personnel du prieuré de St Pierre et St Paul de Maresmontiers.

En 1790, lors de la suppression des couvents par l'Assemblée Nationale, les quatre derniers religieux abandonnèrent les bâtiments nouvellement reconstruits du prieuré. L'Eglise N.D. avait été rebâtie au commencement du XVIe siècle : elle est magnifique dit un acte de visite du 22 décembre 1508 : Quad ecclesiam est magnifica et bene reparata. Fortement endommagée par un ouragan en 1788, elle fut démolie l'année suivante. On se préparait à en bâtir une nouvelle quand survint la Révolution.

Il y avait une paroisse de Notre Dame incorporée au Prieuré. Les offices paroissiaux se célébraient dans une des chapelles du bas côté de l'église N.D., près du portail ; c'était une source de difficultés entre les religieux et le curé. Cette paroisse, qui ne se composait que de la salle du bailliage, de la prison et d'une maison, fut réunie en 1791 à celle de St Pierre.

 

La paroisse St Médard était la plus ancienne de toutes celles de la ville, et son église, d'après la tradition, une des plus anciennes de la Picardie. Une charte de Thierry, évêque d'Amiens, place cette église sous la dépendance de celle du Prieuré (Galli. Christ.). On ne la voit désignée sous le nom de St Médard qu'en 1302 ; c'est un nommé Robert de Onvillers qui en est désigné comme curé d'alors. Le village du Mesnil St Georges et une partie de celui d'Etelfay, appelée Bérencourt, en dépendait. L'église, plusieurs fois ravagée, brûlée, rebâtie, fut démolie à la révolution en 1793. Une croix de fer, élevée par la piété particulière, marquait jusqu'en ces derniers temps l'emplacement qu'occupait l'église sur le vieux chemin de Fontaine. Nous sommes surpris que personne dans le faubourg ne songe à rétablir ce pieux souvenir des temps passés. La cure était à la nomination du Prieur de N.D., gros décimateur. On a bâti, il y a une vingtaine d'années, mais plus près du faubourg, une chapelle qui déjà menace ruine.

 

On comptait enfin au nombre de ces paroisses, celle de St Martin dont l"église subsiste encore. Très ancienne aussi : il en est fait mention dans la charte que nous avons cité plus haut de l'évêque Thierry. Elle est désignée pour la 1e fois sous le nom de St Martin en 1225. Elle est en dehors du faubourg du même nom, à mi côte et n'a rien qui attire l'attention. Cette église relevait également du Prieuré. Elle fut vendue en 1792 comme bien national et achetée par Me Cocquerel qui en était curé. Elle est encore la propriété de la famille Cocquerel qui en laisse gratuitement la jouissance aux habitants du faubourg. Un des vicaires de St Pierre y va pendant la bonne saison dire la messe.

 

Citons parmi les établissements religieux que fit disparaître la tourmente révolutionnaire le couvent des Capucins, remplacé par la maison de Mr Deucouy et celui des Ursulines ; placé en dehors de la ville, il ne reste de ce dernier que quelques bâtiments et les murs d'enceinte, en parfait état encore, et rayant de leur ligne blanche la masse des constructions de la ville. Il y avait existé aussi une maison de Franciscaines qui s'étaient établies à Montdidier en 1476 ; elle fut fermée par Mgr de la Mothe en 1768.

 

Il serait long d'énumérer tous les Montdidériens qui se sont distingués dans les sciences ou le lettres. Contentons-nous de citer les suivants : Payen de Montdidier, Paginus de Monte Desiderii, qui fut avec Hugues de Payns l'un des fondateurs de l'Ordre du Temple (1128) - Robert Le Cocq, évêque de Laon (de 1351 à 1363). Il mourut évêque de Calahona en Aragon. On sait le rôle qu'il joua pendant la captivité du roi Jean et ses intrigues avec Estienne Marcel, prévôt des marchands de Paris - le jurisconsulte Le Caron, auteur d'un commentaire sur les coutumes du gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye (1582-1586) - le chanoine historien Adrien de la Morlière, auteur des Antiquités de la ville d'Amiens (1560-1639) - le théologien Bon de Merles, qui a donné uno summo christiana, très estimée en son temps (1598-1686) - les deux Capperonnier (Claude-Jean : 1671-1744) et son neveu Jean-Augustin :1716-1775) , conservateurs de la bibliothèque du Roi ; le fameux médecin Fernel Jean (1497-1558) auteur de nombreux ouvrages ; l'helléniste Bosquillon Edouard-François (1764-1814) ; Louis Bras, professeur de théologie qui mourut supérieur général des Lazaristes (1678-1747) ; l'agronome et chimiste Augustin Parmentier (1737-1813) dont la statue s'élève sur une des places de la ville ; Caussin de Perceval, membre de l'Institut et président du Collège de France, etc, etc. Nous ne voudrions pas oublier de Beauvillé Victor, lequel a fait paraître séparément une Biographie Montdidérienne très complète (1 vol. in 8. Imp. Claye-Paris, 1875).

 

Après avoir parcouru le longue liste des illustrations de Montdidier, on ne s'étonnera plus que Briet, géographe du XVIIIe siècle, ait appliqué à cette ville l'épithète de Cultissima.

Pourtant, le P. Daire, répétant un épigramme du bourgeois Scellier, auteur des manuscrits très précieux que l'on garde à l'Hôtel de Ville, assure qu'à Montdidier les libraires ne faisaient pas leurs affaires. "Il n'en est pas de même, ajoute-t-il, des traiteurs ; quoiqu'en grand nombre, ils sont tous occupés". Ceci m'amène à rappeler le dicton où l'on caractérise les habitudes et les goûts des Montdidériens :

Chès promeneux d'Montdidier,

Chès gourmets d'Montdidier.

 

Les armoiries de la ville sont : d'azur à une tour d'argent donjonnée, accostée de sept fleurs de lys d'or, dont 1/2 en tête et 1/2 en pointe.

Précédent
Retour

Suivant
Suite